Le Fihavanana : un justificatif de corruption ?

1 octobre 2024

Le Fihavanana : un justificatif de corruption ?

On n’aura de cesse de le répéter, il faut lutter contre la corruption avant qu’elle ne lutte contre nous. Ne pas agir, c’est approuver. L’approuver revient à faire preuve de non-assistance à pays en danger. Pendant que la corruption érode lentement les piliers de la grande île, de plus en plus de personne pointent du doigt le Fihavanana.

Avenue des baobabs – Crédit : Wikimedia Commons

Madagascar c’est ça : des plages paradisiaques qui feraient pâlir les rivages blancs de West Bay, une faune et une flore à 80 % d’espèces endémiques, un sous-sol infiniment plus riche que ses habitants du dessus… mais surtout, un rang de 145e sur 180 pays à l’Indice de Perception de la Corruption.

Les raisons de cette corruption sont variées. On pourrait par exemple féliciter l’État de droit faible qui favorise une corruption systémique, saluer la lenteur administrative et ses agents ou même applaudir l’inefficacité des poursuites judiciaires qui réduit petit à petit la confiance des dirigés envers les dirigeants. Bref, diverses sont les origines. Mais dans cet article, j’aimerais plutôt mettre en évidence une cause plus sociale et culturelle du sujet.

Le Fihavanana, une philosophie propre aux Malgaches

Traduit par « familiarité », le Fihavanana est en fait un concept culturel malgache fondé sur l’entraide et la réciprocité des services rendus. C’est une base de la société malgache qui tend vers une perspective harmonique ayant pour but de maintenir coûte que coûte la paix sociale en évitant ou en tranchant les désaccords familiaux, dans le voisinage ou même dans le pays. Ce concept est si important qu’il est cité dans la Constitution malgache.

Échec ou réussite ?

Aujourd’hui, cette belle sagesse ancestrale se retrouve au service de la corruption, la plus abjecte manière d’en user. Si cette dernière se traduit par le détournement d’un pouvoir délégué pour servir des intérêts personnels, elle a surtout acheté les Malgaches au prix d’un patrimoine immatériel. L’entraide est déviée vers des dessous de table, des responsables reçoivent une rétribution pour assouplir des démarches ou rendre favorables des demandes. Comme tout bon corrompu qui se respecte, ils n’attendent même plus qu’on leur donne, ils réclament. Je me rappelle encore des nombreuses plaintes, preuves à l’appui, sur le réseau social Facebook concernant la corruption des douaniers. Une sacrée affaire qui a nécessité l’intervention du Président de la République en personne.

Antananarivo, capitale de Madagascar. Crédit : Wikimedia Commons

Les jeunes diplômés se plaignent du système de recrutement à Madagascar. Ici, si vous n’avez pas une connaissance qui peut vous pistonner ou vous parachuter, c’est peine perdue. Les pots de vins fusent et les coupables osent parler de préservation du lien social. Il n’est même plus question d’éviter les désaccords. Ils vont détourner le but du Fihavanana pour faire du népotisme et du favoritisme. Qui se soucient des compétences et des mérites ? Oubliez votre Master et votre CV blindé. Ils priorisent leurs proches qu’importe si ces derniers sont qualifiés ou non. C’est du Fihavanana népotiste.

Les ancêtres se retournent dans leurs tombes !

Le comble dans l’histoire est que la corruption se retrouve ancrée dans la tête des Malgaches comme une démarche incontournable. Par exemple, je suis défenseur des droits humains et il y a quelques jours, après une investigation concernant une histoire de vol de terrain, les victimes ont voulu me remercier avec une enveloppe contenant quelques billets. Bien évidemment, j’ai refusé en prétextant que je ne faisais que mon travail et qu’ils n’avaient pas à me gratifier.

Cadeau de remerciement – Crédit : Cottonbro studio – Pexels

Mais cela montre que cette pratique est courante. La population encourage indirectement, parfois sans le savoir, à une culture de la corruption. Peut-être que c’était vraiment partie d’une bonne intention, pour préserver le Fihavanana, réciprocité des services rendus, mais une telle pratique offre une excuse aux corrompus et les incite à intégrer des « cadeaux » illicites dans les procédures.

Or, à Madagascar, les élèves apprennent depuis le primaire que le Fihavanana est un héritage ancestral qui doit être maintenu et que parallèlement, l’argent fait l’homme.

À bon entendeur…

Il faut néanmoins admettre que le blâme ne doit pas porter sur le Fihavanana mais dans l’usage que l’on en fait. Une culture de la paix à mon sens ne peut pas être néfaste. Mais une lutte massive contre la corruption s’impose. L’État doit s’adonner à la vulgarisation des procédures administratives et à la mise en place d’une politique qui permettrait de mettre fin à la lenteur administrative et à l’impunité. Les enseignants devraient commencer à former une jeunesse qui rejette la corruption.

Et chacun devrait se conscientiser sur cette pratique car comme le dit le L.V. dans sa chanson « Gangsta’s Paradise » : « The ones we hurt are you and me. » (Traduction : « Ceux que nous blessons, c’est toi et moi. »)

Étiquettes
Partagez

Commentaires